28.08 — 29.11.2020

Yalda Afsah*

Née en 1983, l’artiste et cinéaste germano-iranienne Yalda Afsah explore la construction cinématographique des espaces filmés en transformant l’aspect documentaire de ses œuvres en forme théâtrale. Cette caractéristique formelle de la pratique d’Yalda Afsah se reflète conceptuellement dans ses portraits documentaires où les relations homme-animal révèlent une ambivalence entre soins et contrôle, force physique et volonté brisée, instinct et manipulation. Elle questionne ces dichotomies créant ainsi un espace de réflexion sur la possibilité d’une empathie globale entre les espèces. 

Tourneur/ Vidourle/ Centaur 

Axée sur différentes rencontres entre humains et animaux, la pratique de YaldaAfsah explore continuellement les possibilités cinématographiques en matière de construction d’espace filmique. Dans le même temps, le caractère documentaire de ses films opère une transition progressive vers des formes de théâtralité. Tourneur (2018) et Vidourle (2019) sont tous deux consacrés à une sorte de corrida pratiquée dans le sud de la France, tandis que Centaur (2020) prend pour thème le dressage classique des chevauxChacun de ces films retranscrit à l’écran une étrange chorégraphie, qui pourrait être décrite comme un rituel, un spectacle, un jeu ou un combat – des actes performatifs traduits en abstractions filmiques. 

Alors que la corrida se caractérise par l’imprévisibilité, les mouvements des chevaux au cours du dressage sont contrôlés jusque dans les moindres détails et semblent dépourvus de toute qualité naturelle, pulsionnelle ou instinctive. Cette fenêtre ouverte sur la façon dont les animaux sont traités révèle une ambivalence entre soin et contrôle, force physique et volonté brisée, instinct et artifice. Afsah permet à ses protagonistes de dissoudre ces paradoxes, générant une symbiose qui laisse au public l’espace suffisant pour évaluer la possibilité d’une empathie supérieure entre les espèces, qui semble enracinée dans leur vulnérabilité mutuelle.
Texte : Linnéa Bake 

Yalda Afsah, Tourneur, 2018
HD videocoloursound
14’
Avec le soutien d’Ammodo et Ifa – Institute for Foreign Cultural Relations
Courtesy de l’artiste 

Le court métrage de Yalda Afsah Tourneur retrace la rencontre entre humain et animal – une rencontre marquée par l’imprévisibilité. Portant à l’écran une corrida pratiquée dans une zone rurale du sud de la France, le film met en place une tension subtile par l’absence initiale du taureau. Au départ, cette force naturelle ne se manifeste qu’à travers ses effets. 

Tout s’immobilise au moment où le taureau, unique protagoniste, regarde directement la caméra. L’animal émerge du paysage de mousse abstrait typique de cette forme de corrida, il s’avance vers le centre de l’écran, décrit un cercle, puis s’arrête. Alors que le public est absorbé dans une sorte d’extase, n’ayant apparemment pas conscience d’être filmé, le taureau dirige son regard droit vers l’objectif. 

D’un seul coup, l’animal rend visible la caméra et transforme cette observation prétendument « objective » en une forme de théâtralité. Opérant à l’interface entre réalité et mise en scène, Afsah explore les possibilités cinématographiques en matière de construction d’espaces filmiques. Angle de caméra, lumière et son sont superposés à la scène qui se déroule afin de créer des effets propres au théâtre. Nous voyons les images à travers un cadre construit temporairement, comme une mise en scène complexe qui nous séparerait des prises de vue, à l’instar de la rampe circulaire qui sépare le public de la corrida de l’arène. Dans la mousse opaque, la pulsion archaïque ritualisée de domination de la nature se transforme en une performance surréaliste. Texte: Linnéa Bake 

Yalda Afsah, Vidourle, 2019
HD videocoloursound
10’
Avec le soutien d’Ammodo et Ifa – Institute for Foreign Cultural Relations
Courtesy de l’artiste

Tirant son titre du fleuve éponyme où se déroule l’action, le film de Yalda Afsah Vidourle donne à voir une étrange chorégraphie réalisée par un groupe de jeunes hommes, qui exécute ce que l’on pourrait prendre pour un rituel, un spectacle, un jeu ou un combat. 

Faisant les cent pas avec impatience, parfois en proie à l’effervescence et parfois perdus dans leurs pensées, les protagonistes adolescents du film semblent être dans l’attente : il peut s’agir de quelque chose à venir, ou peut-être de quelque chose qui est déjà là. Presque en vue plongeante, la caméra de l’artiste surplombe la scène qui se déroule dans le lit d’une rivière. Cette perspective ambiguë place le public à une certaine distance de l’action – une performance subtilement déstabilisante, lentement émaillée d’un sentiment de menace. Dérivé du mot vider, le nom du fleuve Vidourle fait référence aux fluctuations annuelles de celui-ci, entre crues et sécheresse. Il ne s’agit ici que d’un indice parmi d’autres fourni par l’artiste : c’est une force naturelle que nous attendons. Comme dans son œuvre précédente, Yalda Afsah met en scène un taureau défié et chassé par de jeunes hommes dans le lit de la rivière. Ici, l’animal demeure toutefois hors du champ de vision des spectateur·rice·s pendant toute la durée du film.

Alors qu’une profonde anxiété commence à émerger, la peur et l’anticipation ne sont pas les seules forces motrices présentes : la caméra se focalise également sur la dynamique entre les jeunes hommes qui se mesurent les uns aux autres, leurs mouvements collectifs ainsi que les moments individuels de concentration et de mélancolie. Dans leur vulnérabilité involontairement exprimée, les protagonistes adolescents semblent incarner la fragilité de l’humanité face à un changement environnemental imminent, non sans rappeler le courant d’une rivière à la force inattendue. Texte: Linnéa Bake 

Yalda Afsah, Centaur, 2020
Vidéo HD, couleur, son
13’
Commissionné par Manifesta 13 Marseille 
Avec le soutien d’Ammodo et Ifa – Institute for Foreign Cultural Relations
Courtesy de l’artiste

Le film dYalda Afsah Centaur se concentre sur une activité déterminée par la relation physique entre humain et animal : les mouvements réalisés lors du dressage classique des chevaux. Contrôlés jusque dans les moindres détails, ils semblent dépourvus de toute qualité naturelle, pulsionnelle ou instinctive. 

Les sons étouffés semblent diriger notre regard dans le manège, nous permettant de suivre les mouvements des animaux, tandis que l’artiste transforme leur souffle et leurs râles, leurs efforts et leur concentration en un paysage rythmique synthétique. Dissociés des événements montrés à l’écran, les sons de claquement produits par le dresseur évoquent un caractère artificiel étrangement similaire à la discipline esthétique du dressage elle-même. À travers des plans resserrés, la caméra balaie les corps des chevaux comme s’il s’agissait de paysages. L’abstraction du pelage, de la sueur, les muscles en mouvement et des membres humains apparaissant par intermittence fait fusionner animal et humain, générant une synthèse perçue comme « symbiotique » par le dresseur présenté. Associées à des plans récurrents des tableaux historiques qui décorent le manège, ces observations intimes semblent soulever une question polémique : quel protagoniste influence la nature de l’autre ? Le leitmotiv du dresseur et le centaure, cet hybride mi-homme, mi-cheval de la mythologie grecque. Incontestablement, la relation avec l’animal devient ici un support de projection des différents fantasmes humains.
Cette fenêtre ouverte sur la façon dont les animaux sont traités révèle une ambivalence entre soin et contrôle, force physique et volonté brisée, instinct et artifice. Afsah permet à ses protagonistes de dissoudre ces paradoxes, générant une symbiose qui laisse au public l’espace suffisant pour évaluer l’étrange chorégraphie portée à l’écran. Texte : Linnéa Bake 

Oeuvre conçue à l’occasion de Manifesta 13 Marseille

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