Par sa quête du monde invisible, l’œuvre de Victor Brauner (1903 – 1966, RO) est singulière et son parcours atypique. Le rapport qu’il entretient avec le cosmos fait référence à une expérience prophétique vécue comme un principe guidant sa vie et son œuvre. À partir de son adhésion au surréalisme en 1932, l’exploration de l’inconscient prend une place majeure dans son travail, le rêve devenant un moyen d’action, de transformation de l’homme et du monde. En 1938, un étrange accident lui confère une place à part, exemplaire des liens qu’unissent le surréalisme avec l’étrange et le spiritisme : il perd son œil gauche à la suite d’une rixe. Avant cet évènement peu banal, il peint de manière obsessionnelle des tableaux qui tournent autour du thème de l’œil arraché, tel en 1931 son Autoportrait à l’œil énucléé, pour le moins prémonitoire. L’importance que revêtent la divination et la prophétie dans son processus créateur, le rapproche des civilisations anciennes, dont il extrait du vocabulaire symbolique et formel des figures et des signes nouveaux, rappelant les configurations astrologiques et autres signes géomantiques.
Jeu de Marseille
Parmi les nombreuses réalisations des artistes et écrivain·e·s rassemblé·e·s à la Villa Air-Bel, la plus marquante est certainement le Jeu de Marseille – clin d’œil aux fameux « tarots de Marseille », qu’André Breton étudiait à l’époque. Les Surréalistes réinventèrent l’iconographie d’un jeu de carte classique, reprenant les figures et des symboles fétiches du mouvement. Les couleurs deviennent la flamme de l’Amour (représentée par Baudelaire, la Religieuse portugaise de Stendhal et Novalis), l’étoile noire du Rêve (Lautréamont, Alice de Lewis Carroll et Sigmund Freud), la roue sanglante de la Révolution (le Marquis de Sade, Lamiel et Pancho Villa) et la serrure de la Connaissance (Hegel, Hélène Smith et Paracelse). Les rois deviennent génies, les dames se muent en sirènes et les valets en mages.
Un tirage au sort détermine la conception des différentes cartes : Victor Brauner (Hegel et Hélène Smith), André Breton (Paracelse et l’As de Connaissance), Jacques Hérold (Lamiel et Sade), André Masson (La Religieuse portugaise et Novalis), Max Ernst (Pancho Villa et l’As d’Amour), Jacqueline Lamba (As de Révolution et Baudelaire), Wifredo Lam (Alice et Lautréamont) et Oscar Dominguez (Freud et l’As de Rêve). Au joker est assignée la figure du Père Ubu telle que l’avait dessinée Alfred Jarry. Frédéric Delanglade conçoit quant à lui le dos des cartes et est ensuite chargé de standardiser les cartes en les redessinant d’un trait continu. Elles sont publiées pour la première fois en 1943 dans le troisième numéro de Revue WW, puis éditée en 1983 par André Dimanche.